samedi 6 octobre 2007

Un air d'ocarina

Il pleut, il pleut, il pleut. Je suis heureuse. Ca fait ploc, ploc dans ma bassine. Mes cheveux sont toujours mouillés, tant pis, je les sécherai plus tard.

J'étais en train de lire "Rêves de brouillard" de Kenji Miyazawa sur mon lit quand les premières gouttes de pluie se sont précipitées en masse dans le récipient. Mue par un réflexe, j'ai fermé les yeux en reposant mon livre. La sérénité m'a enveloppée, comme à l'accoutumée, de son voile délicat opalescent et les rêveries m'ont recouverte de paillettes. Mais soudain, j'ai ressenti quelque chose de nouveau à l'intérieur de mon être, comme si j'étais submergée par un liquide inconnu qui s'infiltrait par tous les pores. Ce liquide montait, affluait en moi, à l'instar de ma bassine qui se remplissait d'eau de pluie au fil des minutes. Ce n'est que lorsque je me suis sentie inondée par un désir incontrôlable, que j'ai compris qu'il avait atteint le niveau maximal de son volume, celui de mon âme. Alors je me suis ruée en direction de mon bureau, j'ai ouvert en toute hâte le premier tiroir pour y plonger mes deux mains exploratrices et fouiller, en mettant sens dessus dessous, les objets endormis dans ce bric-à-brac parmi lequel on pouvait compter: un bloc-note, des crayons de couleur éparpillés, un mouchoir en coton, mon vieux porte-clé coccinelle, un nez de clown, les glands du chêne ramassés au parc, des caramels, des cartes de voeux, un bracelet de perle, un ocarina, des tromb... Un ocarina !? Ma main gauche a enfin détecté l'objet recherché. C'est avec les yeux émerveillés et la bouche grande ouverte exprimant un "Ouah!" muet, que je caressais le précieux instrument en terre cuite. On aurait dit une archéologue qui extirpait des décombres un trésor inestimable. Aussitôt après, l'ocarina serré dans ma main, j'ai quitté ma chambre, traversé silencieusement le couloir afin de ne pas réveiller Papa qui s'était assoupi au milieu de ses livres, gravi deux par deux les marches froides du grenier avec mes pieds nus; ensuite quand j'ai ouvert la lourde trappe en bois, il m'a semblé entendre les noiraudes qui se réfugiaient à toute allure vers les interstices des quatre murs délabrés avec un son similaire à celui des milliers de grains de riz se déversant sur le sol. Etait-ce simplement le son qui naissait de la pluie mise en contact brusque avec le toit et les carreaux ?
J'ai ouvert la fenêtre et j'ai grimpé sur le toit glissant. De là-haut, j'ai embrassé du regard la vue de cette ville à moitié ensommeillée. Quelques points lumineux scintillaient encore chez certains couche-tard. Je me suis assise sur la toiture en pente, j'ai porté l'ocarina à mes lèvres. Et après avoir inspiré bien fort, j'ai soufflé dedans comme un interminable soupir.

Totoro Totoro

Totoro Totoro

Seule la pluie inépuisable accompagnait ma mélodie. Un peu de douleur, un peu de nostalgie, une pincée de colère et beaucoup de gaité composaient mon souffle. Les lumières aux alentours s'éteignaient, l'une après l'autre, au gré de ces notes berceuses écloses par l'ocarina.

Totoro Totoro
Totoro Totoro

La mélodie, toujours la même, s'enchaînait plusieurs fois de suite. Je ne connaissais que celle-là. Elle m'était apparue une fois dans mes rêves. Je ne l'ai jamais oubliée.

Totoro To...

Miiiiaaaou !

J'ai levé ma tête en direction du miaulement aigu. Ce n'était que le chat tigré de la gentille dame d'à côté qui avait manifestement oublié de laisser sa fenêtre entrouverte pour le retour de son animal. La pauvre bête grattait sur le carreau en espérant qu' il attirerait l'attention de sa maîtresse profondément endormie. La vision de cette boule de poil malheureuse et trempée m'attendrissait, je ne pouvais m'empêcher de réprimer mon rire. Rire étouffé d'abord, puis comme si une barrière s'était rompue en moi, j'ai ri aux éclats. Assise sur le toit, sous le ciel pluvieux, avec mon ocarina.
Ahahaha ! Ahahaha !
Et des larmes ont jailli de mes yeux, elle se sont mêlées aux petites billes de la pluie, en me perlant les joues humides.