dimanche 14 octobre 2007

Escale

(extrait de mon livre)

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Le chat-bus dévalait les collines et les champs, gravissait les montagnes et les poteaux électriques.
Petit à petit, le Soleil se levait en étirant ses bras radieux, les lampions de souris ornant le chat-bus s'éteignirent. Le félin véhiculait ses fidèles passagers depuis le soir du grandiose concerto. Celui-ci n'était pas encore terminé lorsque le grand Totoro décida de prendre la route. En l'accompagnant dans sa belle mélodie, les animaux l'avaient salué de la meilleure façon qui soit. Seuls les noiraudes s'étaient obstinés à vouloir suivre le Gardien du Camphrier dans son voyage, mais la bourrasque du chat-bus les propulsait vers l'arrière avec force, les balayant comme une trainée de poudre noire.

Admirant le paysage rural qui défilait à toute allure, Totoro avait le sourire béat. Derrière lui, les petits Totoro grignotaient les offrandes des rongeurs, tout en étant ballotés, sur les sièges douillets, par les secousses incessantes du bus.
Loin des champs agricoles, loin des rizières, loin de la présence humaine, leur trajet arriva à son terme. Dès qu'ils frôlèrent le sol inconnu, ils furent accueillis par le chant des coucous, le gazouillis des hirondelles, le pépiement des mésanges. Un papillon orange vint leur souhaiter la bienvenue, le petit Totoro bondit sur ses pattes comme un lapin, il voulut aussitôt s'amuser avec lui. Le sourire béat du grand Totoro n'avait pas quitté ses lèvres. Son regard se porta sur l'horizon azuré traversé par une kyrielle d'oiseaux. La vaste colline se perdait au loin et rencontrait même les nuages. Le vent ondulait les hautes herbes en faisant valser les aigrettes délivrées des fleurs.

Le grand Totoro empaqueta le sac de provisions et s'apprêta à explorer cette contrée verdoyante. Il se tourna vers le chat-bus au sourire narquois pour lui adresser un signe de tête que seul, un chat-bus serait capable d'en décrypter la signification. En effet, le bus-matou acquiesca, immédiatement, par un long miaulement.
Munis de leur baluchon, les trois créatures cheminèrent en file indienne, alignées par ordre de grandeur décroissant. Le petit Totoro peinait à suivre la cadence, les pas de ses deux compagnons étant bien plus grands, il trottinait alors vaillammant pour ne pas les perdre de vue. Pas un seul instant, il ne lâchait du regard le dos potelé du moyen Totoro, sauf pour admirer les fleurs qui lui étaient étrangères, et son nouvel ami papillon qui voletait au dessus de lui.

Après avoir sillonné la colline et traversé le ruisseau, les trois Totoro s'enfoncèrent dans une forêt luxuriante. Le plus grand avancait sans refréner son rythme de marche, comme s'il savait exactement vers où il devait se diriger. Par des fines lames éclatantes, les rayons de Soleil transperçaient la zone ombragée formée par les arbres hauts. Les animaux autochtones, ayant perçu la présence inattendue de l'Esprit de la forêt, vinrent observer en discrétion la longue procession des créatures fraichement arrivées.
Le grand Totoro s'arrêta enfin. Cet arrêt fut si brusque que les deux Totoro qui le suivaient de près, se heurtèrent en laissant tomber leur baluchon. Ils allèrent ensuite vers l'avant en contournant la masse grise, afin de connaître la raison de cette halte au milieu de la forêt.
Nimbé par un halo lumineux, un jeune arbre à camphre se dressait là, fièrement, en étalant ses branches vigoureuses. Après un moment de recueillement, de discussion inaudible à l'oreille des humains, le jeune arbre à camphre émit son accord pour loger l'Esprit de la forêt en devenant de cette façon, son Gardien pour l'éternité.
Les deux mini-Totoro manifestèrent leur jubilation en sautillant comme une pie. Ensemble, les oiseaux entonnèrent leur chant le plus gracieux en volant autour du jeune Camphrier et s'élevant à la manière du feu d'artifice. L'un d'eux s'approcha du grand Totoro mais celui-ci, ne semblait pas s'en soucier. Il avait le regard dans le vide en souriant à pleines dents. Rêvassait-il ? Il était heureux, assurément.
Sans plus tarder, il déposa son sac au pied de l'arbre et il appela ses deux compagnons par deux grognements distincts. Etant donné qu'il s'agissait d'une invitation à venir s'assoir auprès de lui, les deux Totoro le rejoignirent en gambadant sur les racines enchevêtrées du Camphrier. Une conversation intime s'engagea, les animaux les laissèrent seuls, le Soleil planta sa main éblouissante sur la cime de l'arbre de sorte que le reste de la fôret s'obscurcit soudainement.
Les yeux des petites créatures se figèrent de stupeur et d'effroi : Totoro venait de leur révéler son intention de les quitter.
Désormais, le petit et le moyen Totoro allaient devoir veiller sur la forêt sans l'aide de leur aîné; en tant que "Gardiens", ils grandiraient avec le Camphrier.
Dans un murmure, le grand Totoro leur dévoila le secret des Arbres et le secret du Vent. Les futurs petits Gardiens l'écoutèrent attentivement, partagés entre la crainte et l'enchantement, ils apprirent le savoir et la sagesse sans pour autant les assimiler sur-le-champ. Ils auront tout le temps pour cela. Il restait un troisième secret, mais il n'était pas à transmettre. Il fallait le découvrir par soi-même. Pour l'instant, ce secret demeurait scellé derrière le sourire barricadé par les dents immenses du grand Totoro.

La nuit, le grand Totoro partit à bord de son chat-bus qui l'attendait patiemment. Il s'était contenté de saluer les "deux nouveaux Gardiens du nouveau Camphrier" par un unique signe de la main, en souriant toujours, un sourire montrant sa confiance envers l'avenir.
Désemparé, le petit Gardien avait accouru, aussi vite que ses petites pattes pouvaient le permettre, après le chat-bus qui cavalait droit dans l'horizon vespéral. Il avait trébuché sur un caillou puis il s'était relevé à l'aide du moyen Gardien- devenu le grand Gardien depuis le départ de Totoro- affichant une expression neuve due à la tâche importante qui, dorénavant, lui incombait.
Bien entendu, le grand Totoro n'avait pas assisté à cette scène, il se trouvait déjà trop loin, admirant le paysage du soir, tout en ayant le sentiment que la relève était pleinement assurée.

(à suivre...)

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