mercredi 10 octobre 2007

A la rencontre de l'Automne

Ma soeur mangera à la maison ce soir. Après qu'elle ait téléphoné pour nous prévenir, je me suis emmitouflée en enfilant un pull à col roulé et un bonnet rouge pour foncer, en vitesse, avec le panier d'osier au supermarché du quartier. Papa m'a demandé avec un air hébété :

- Hé, où vas-tu en te dépêchant comme ça ?
- Faire les courses !

Mais je crois qu'il n'a pas entendu ma réponse puisque j'avais déjà refermé la porte d'entrée derrière moi.
Dehors, je me suis rendue compte que le bonnet n'était pas nécessaire. Cela faisait des jours que je vivais cloitrée à la maison pour bosser sur mon livre, la température sibérienne de ma chambre m'avait donné une estimation fallacieuse du climat véritable. Lorsque j'ai retiré mon bonnet en tricot, un vent espiègle m'a tout de suite frôlé les oreilles, titillé le bout du nez et balayé la frange. Ouah ! C'était agréable.
Il est regrettable que ce quartier jouisse très peu de la présence des arbres. J'aurais volontiers humé les effluves des feuilles mortes qui joncheraient le macadam comme s'il avait revêtu un tapis orange et doré. Sautiller, botter dans le tas de feuilles craquelées, les ramasser et les jeter en l'air font partie des petits plaisirs de l'Automne.
A la sortie du magasin, le panier chargé de légumes et de viande destinés à mon fondue de ce soir, j'ai décidé de prendre un chemin de retour différent que celui emprunté à l'aller. Je me suis engagée dans une ruelle perpendiculaire à la voie principale. C'était nettement plus calme.
Cependant, une légère odeur est venue me taquiner les narines. A mon avis, cette odeur devait avoir des doigts vaporeux qui me faisaient signe de le suivre comme les fumées ensorcelantes dans les dessins animés de Tex Avery. Et j'ai cédé. Tout en reniflant, j'ai marché jusqu'à la source de l'odeur. Les enfants qui m'ont croisée en sniffant le nez en l'air avaient certainement les yeux hagards et la bouche ouverte d'étonnement. La stupeur n'est jamais feintée à cet âge-là. A droite de l'extrémité de la ruelle, il y avait une entrée de ce qui semblait être un parc. J'entendais le rire et le cri chahuteur des enfants provenant de là. Surprise, j'ai pénétré ce lieu inconnu. C'était un paisible jardin public, minuscule certes, mais les enfants prenaient du plaisir à jouer avec le toboggan, les balançoires et par dessus tout, les feuilles mortes tombées des arbres entourant le parc. Au milieu de ce petit coin de paradis, se tenait un vendeur de marrons chauds, le complice de la savoureuse odeur qui m'avait attirée jusqu' ici. Je l'ai salué, bien entendu:

- Bonjour monsieur !!!
- Bonjour mademoiselle ! Dis donc, vous avez une voix énergique !
- Oui, on me reproche souvent de parler trop fort...
- Hahaha ! C'est bien ça ! C'est la première fois que je vous vois, vous n'êtes pas du coin ?
- C'est que... Je viens à peine de découvrir ce joli parc. Pourtant, j'habite ce quartier depuis sept ans maintenant.

Le vendeur a affiché un sourire bienveillant. De nature bavard, il m'a fourni des informations intéressantes au sujet de ce parc.

- Sachez mademoiselle que ce coin verdâtre était autrefois en ruines, dévasté par le dépôt d'ordures qui s'accumulait de jour en jour. Les femmes du quartier avaient beau introduire une demande afin de bâtir un terrain de jeu convenable pour les enfants, mais leur requête s'égarait sans cesse dans les méandres de la paperasse. Il y a trois ans, un homme de l'administration a décidé de répondre à cet appel, il a franchi toutes les barrières que la fonction publique lui imposaient. Avec audace et acharnement, il a réalisé son noble projet ! Quel homme ! On raconte qu'il est décédé là-bas, près de la balançoire, un soir de neige.

Il désignait la balançoire sur laquelle une petite fille riait, poussée gentiment par sa mère.

- Il paraît même qu'il chantait juste avant de mourir. Comme il devait être heureux!

Emue par cette histoire, j'ai remercié le vendeur avec ferveur en ne manquant pas de lui acheter des marrons chauds. Pendant que je me dirigeais chez moi, j'imaginais le chant de cet homme remarquable au seuil de sa mort. Comme il devait être heureux résonnait encore la voix du marchand dans ma tête. Oui, il l'était sûrement ! Exaltée par ce récit et mon imagination, je gambadais de joie avec mon panier rempli. D'après le regard que me jetaient les enfants : je ressemblais au petit chaperon rouge. Talalala talalala ! Je chantonnais un air joyeux.


(Note: l'histoire de l'homme sur la balançoire s'est inspirée du film "Ikiru" réalisé par Akira Kurosawa, en 1952)